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Pensions alimentaires: les atermoiements du rapport Fragonard

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Ma tribune publiée par le Huffington Post :

Pour faire face au défi de la paupérisation des familles monoparentales, le rapport Fragonard propose une augmentation de l’allocation de soutien familial (ASF) versée par la CAF. Une mesure essentiellement symbolique : le passage de 89 à 112 € par mois et par enfant ne va pas bouleverser le quotidien des mères célibataires (96% des victimes d’abandon de famille sont des femmes), à l’heure où 40% des pensions alimentaires ne sont pas ou incomplètement versées. Avant d’augmenter l’ASF, il faudrait la réformer profondément, comme l’avait réclamé la Cour des Comptes dans son rapport sur la sécurité sociale de 2010.

L’actuelle ASF entérine un déni de justice et reporte sur la solidarité nationale l’irresponsabilité des mauvais payeurs.

A l’échelle des familles, le montant de l’ASF est dans 86% des cas inférieur à la pension due. De plus, le versement cesse si le parent entame une nouvelle vie de couple. Moralement, l’ASF place les allocataires dans une position « d’assistés » alors qu’ils sont bel et bien victimes d’un délit pénal.

Du point de vue systémique, est-il acceptable que l’Etat se substitue aussi aisément au parent défaillant ? En 2009, sur 1,6 million de familles monoparentales, seul un tiers bénéficiait d’une pension alimentaire alors que plus de la moitié percevaient l’ASF. La charge pour les finances publiques est considérable : le taux de recouvrement des pensions dans le cadre de l’ASF n’est que de 20%, soit un manque à gagner de 3 milliards d’euros par an. L’ASF devrait être une mesure d’accompagnement d’un dispositif efficace de recouvrement, et non une « allocation familiale » masquant la non-application de la législation sur les obligations alimentaires.

Une saisie ou un prélèvement sur salaire peut être demandé à un huissier. Mais la procédure est échoue souvent, notamment si le débiteur ne peut être localisé ou exerce une activité non-salariée… et c’est alors au créancier de régler les frais d’huissier. Certains organisent leur insolvabilité en maquillant leurs comptes voire en partant à l’étranger. Selon un avis du Conseil économique, 23 % des débiteurs qui ont un emploi stable et des revenus réguliers ne verseraient pas de pension alimentaire – une proportion grimpant à 75% en cas de chômage ou d’inactivité. Le Code Pénal punit de 15 000 € d’amende et deux ans d’emprisonnement l’abandon de famille, mais la procédure est longue (37 mois en moyenne !) et se solde dans la majorité des cas par un classement sans suite ou une condamnation minime peu dissuasive.

Le recouvrement nécessite un important travail de coordination entre divers organismes, et notamment une interconnexion des fichiers sociaux et fiscaux, pour identifier les débiteurs de mauvaise foi. Cela ne correspond pas au cœur de métier de la CAF. C’est pourquoi j’avais déposé une proposition de loi visant à créer une agence pour le recouvrement des pensions alimentaires, sorte de guichet unique facilitant l’accès des familles à l’information et le suivi des dossiers. Cette proposition avait d’ailleurs été reprise par Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle. Bien que la nouvelle majorité ait fait part de sa volonté de s’attaquer au problème, ce texte n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour du Parlement.

Une telle agence permettrait de faire le lien entre les différentes procédures, afin qu’en cas d’échec de l’une, les preuves déjà recueillies puissent être directement mobilisées pour une autre. Elle autoriserait une réactivité essentielle pour des familles déjà fortement fragilisées. Elle pourrait avoir une mission de coordination à l’international, particulièrement utile dans les cas de plus en plus nombreux de divorces de couples mixtes, et facilitée par le développement d’outils informatiques internationalement standardisés. L’agence apporterait également une aide juridique car de trop nombreuses mères isolées renoncent à une action en justice par crainte de son coût lorsqu’elles ne remplissent pas strictement les conditions pour l’aide juridictionnelle.

La création d’une agence représente un investissement certain, mais qui serait aisément rentabilisé grâce à l’amélioration du taux de recouvrement. En Australie, où deux pensions sur trois n’étaient pas correctement versées, la création d’une telle agence a permis d’atteindre un taux de non-recouvrement de 97%. Les États-Unis ou la Norvège ont également très sensiblement amélioré leur taux de recouvrement grâce à la création d’une agence spécifique.

Plutôt que de se lamenter sur la précarisation des familles monoparentales et d’accroître symboliquement l’allocation qui leur est destinée, mieux vaudrait promouvoir une justice familiale plus réactive et mieux appliquée.


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